TH1 -Les sociétés face à leur passé: l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

Introduction

Prises de positions autour de la participation du président François Hollande aux célébrations du 19 mars 2016 .
Acteurs (appelés, harkis, opposants internes, FLN, Pieds noirs etc.) ont un ressenti, un vécu de cette guerre et un désir de voir une souffrance reconnue.
=> Cadre des lois mémorielles visant à commémorer des événements ou à reconnaître des épisodes passés de l’histoire et les souffrances qui y sont liées. (Loi Gayssot créant le délit de négationnisme, loi Taubira sur l’esclavage comme crime contre l’humanité…).
=> Débats avec historiens appelés comme experts permettant de justifier l’une ou l’autre position. (devoir de mémoire / Histoire)
Ouverture des archives de la guerre d’Algérie depuis les années 1990 et les récents et nombreux travaux d’une nouvelle génération d’historien montre que cette recherche est toujours en cours.

Problématique : Pourquoi les mémoires de la guerre d’Algérie sont-elles encore aujourd’hui si conflictuelles ? Quelles contributions peuvent apporter les historiens face aux mémoires qui s’expriment des deux côtés de la Méditerranée ?

I – Des mémoires plurielles et antagonistes (les acteurs).

A) Les mémoires des combattants auprès de la France : Appelés, combattants pieds noirs et harkis, OAS

1 – Les militaires de carrière, les appelés et « rappelés » de la guerre d’Algérie

   a) La question des réfractaires

=> Environ 12 000 réfractaires (1% des soldats – comparable Vietnam)
10 831 insoumis (appelés qui ne se présentent pas sous les drapeaux),
886 déserteurs (les soldats qui quittent illégalement leur unité) et
420 objecteurs de conscience (les soldats qui refusent de porter les armes ou l’uniforme)

Thèse soutenue par Tramor QUEMENEUR «  Une guerre sans « non » ? : insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie : 1954-1962″ (2007)

=> Appelés et rappelés
Gouvernement Pierre Mendès-France (17 juin 1954 – 6 février 1955) : 1er novembre 1954, décide l’envoi de renforts (parachutistes, gendarmes mobiles, CRS) portant les effectifs de 40 à 80.000 hommes
Gouvernement Guy Mollet (6 février 1955 – 21 mai 1957) : Vote des “pouvoirs spéciaux” en mars 1956, envoi massif du contingent → 450.000 hommes à la fin de 1957.
Deux moyens sont utilisés par le gouvernement français : le rappel de plusieurs classes de disponibles (1952-1953-1954) d’une part et l’allongement de la durée du service militaire d’autre part.

=> Nombreuses manifestations de rappelés, soutenus par une partie de la population.
11 septembre 1955, le refus d’embarquement de 600 rappelés de l’armée de l’air à la gare de Lyon à Paris
8 octobre 1955, celui de soldats du 406e régiment d’artillerie antiaérienne, à la caserne Richepanse de Rouen.
18 mai 1956 à Grenoble l’une des plus violentes manifestation (une cinquantaine de blessés, autant d’arrestations), mais ne rassembla que quelques centaines de personnes.

=> Mouvements spontanés mais encouragés.
PBLM = avoir rappelé sous les drapeaux de jeunes hommes qui venaient de s’engager dans des responsabilités professionnelles ou familiales en se croyant libérés de leurs obligations militaires.  Mouvements spontanés encouragés par des militants hostilesà la « guerre d’Algérie» => Arrestations : Claude Bourdet, arrêté pour son éditorial dans France-Observateur « Ne lancez pas le contingent dans votre guerre ! »

         b) La question de la Torture.

Premiers travaux sur la question dès 1958 par Pierre Vidal-Naquet : enquête sur l’affaire Muarice Audin, puis dénonciation de la torture. Signataire du Manifeste des 121. Cette « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie« , est signé par des intellectuels, universitaires et artistes et publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté.
Pierre VIDAL-NAQUET « L’affaire Audin – Préface de Laurent Schwartz‎ ». Editions de Minuit Fercé, France 1958. – 100 pages‎.
Pierre VIDAL-NAQUET, « La raison d’Etat« , Editions de Minuit, 1962, 

=> Débats sur la question de la torture à partir des années 2000 (liens cliquables):
Ouverture des archives, fonds privés + archives des Services historiques des armées de Terre et de l’Air => confronter la mémoire recomposée des témoins à la mémoire vive des lettres, carnets personnels ou journaux de marche des anciens combattants.
L’appel des douze, intellectuels demandant à l’État, dans L’Humanité (31 octobre 2000), la reconnaissance et la condamnation de la torture durant cette période,
Appel relayé par les révélations du Général Aussaresses, personnage-clé de la « Bataille d’Alger », dans son livre Services Spéciaux, Algérie 1955-1957 (mai 2001).
A l’inverse le manifeste des 521 (officiers généraux ayant servi en Algérie) publié toujours en 2000 défend l’armée française et ses agissements durant la guerre d’Algérie.

Raphaëlle BRANCHE, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard 2001, 474p
Sylvie THENAULT, Une drôle de justice. Les Magistrats dans la Guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, coll. L’espace de l’Histoire, 2001, 347 p.

2. Les « supplétifs » musulmans

Après le déclenchement de l’insurrection, l’armée française procède au recrutement de troupes supplétives en Algérie. http://fresques.ina.fr/independances/fiche-media/Indepe01075/harkas-dans-le-secteur-de-collo-muet.html Les supplétifs regroupent :

  • Harkis proprement dit qui sont les membres des harkas.
  • Les moghazni qui sont rattachés aux SAS, dont ils assurent la protection.
  • les groupes d’autodéfense (GAD)
  • Les officiers, militaires, appelés
  • Civils, agents de l’Etat et anciens militaires.

=> Près de 280 000 personnes dont la vie est directement ou indorectement menacée par le FLN pendant et à la fin de la guerre d’Algérie. Le nombre de victimes est difficile à établir, les chiffres avancés allant de 10 000 à 150 000 mort. Les harkis et les autres supplétifs obtiendront le statut d’anciens combattants au regard du droit français par une loi du 9 décembre 1974.
=>  10 000 réfugiés en France en juin 1962, rapidement rejoints par beaucoup d’autres. Ils vivront dans des conditions très précaires dans des camps de transit : http://webdoc.france24.com/harkis-les-oublies/

3. L’organisation de l’Armée Secrète

L’OAS (Organisation armée secrète) tente d’empêcher par la terreur le rétablissement de la paix entre la France et l’Algérie en 1961-1962 : Putsch d’Alger, 21 avril 1961 (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) => échec et arrestation du général Jouhaud à Oran le 25 mars, puis du général Salan à Alger le 20 avril 1961.
OAS se poursuit avec actes de violence dont l’explosion d’une bombe, destinée au ministre André Malraux, le 7 février 1962 à Paris, et l’assassinat de six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs à Alger le 15 mars 1962.
CNR,fondé à Rome au printemps 1962 par l’ancien président du Conseil national de la Résistance Georges Bidault, désigné comme successeur par le général Salan. => OAS-CNR, principal objectif = assassinat du général de Gaulle(22 août 1962 au Petit Clamart)
En France, l’OAS n’a que peu de soutiens. Soutien massif en Algérie mais pas plus d’un millier d’hommes armés et 3.000 militants à son apogée selon son fondateur Jean-Jacques Susini.

B) Les mémoires des combattants algériens : le FLN

1 – Des mouvements avant le FLN (voir aussi Chapitre 11 – Premières)

Mouvement des Jeunes Algériens dirigé à partir de 1913 par l’émir Khaled, petit-fils d’Abd-el-Kader : demande de suppression du régime de l’indigénat
L’Etoile nord-africaine (puis Parti du Peuple Algérien) de Messali Hadj. Premier mouvement à revendiquer l’indépendance totale de l’Algérie.
Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 au 22 mai 1945 = événement fondateur des mémoires

1er novembre 1954 : Dissidents Ahmed BEN BELLA et Mohammed BOUDIAF créent le FLN (Front de libération nationale) – Manifeste du FLN « Conformément aux principes révolutionnaires et compte tenu des situations intérieure et extérieure, la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu’à la réalisation de notre but. […] » => Début « officiel » de la guerre d’Algérie => Combattants du FLN sont d’horizons divers. On retrouve souvent des jeunes engagés dans les mouvements associatifs (Scouts musulmans algériens), jeunes travailleurs marqués par les événements de Sétif. + Jeunes militants français.

2 – Témoignages épars et tardifs (Années 2000):

Témoignage de Louisette Ighilahriz, torturée par l’armée française
Témoignage de  Khéïra Garne, victime d’un viol collectif commis par des soldats français (9 novembre 2000).
Sur le FLN et les fellaghas, voir le film de BOUCHAREB Rachid, Hors la loi  et la critique de Benjamin STORA parue dans Mediapart

C) Les mémoires des civils : pieds-noirs, opinion publique française

1 – La mémoire des rapatriés : Pieds noirs

Indifférence accompagne leur arrivée, puis stigmatisation. Douleur de l’exode très présente, traverse les générations. Création de communautés dans le sud de la France.
Sur l’origine du mot : http://sites.arte.tv/karambolage/fr/lexpression-le-pied-noir-karambolage
Sur les pieds-noirs restés en Algérie (environ 200 000) : https://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870

2 – Opinion française et mobilisation politique et intellectuelle

Opinion publique: Avril 1956, France se partage (40% – 40%) entre accorder indépendance et écraser les rebelles par la force. Juillet 1956, 45 % se prononçaient pour l’indépendance, et seulement 23 % pour la guerre à outrance. À la même date, 48 % désapprouvaient l’envoi des jeunes pour faire leur service militaire en Algérie.

Premiers témoignages et dénonciations : ALLEG Henri, La Question (1958)
Manifeste des 121, « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »,  le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté.
Intellectuels comme Jean-Paul Sartre dans la revue Les Temps modernes, ou comme François Mauriac, dans L’Express, dénoncent les exactions de la police et de l’armée française.
La contestation du discours officiel passe également par le tournage d’œuvres cinématographiques comme

  • La Bataille d’Alger de Gillo PONTECORVO (1966), film franco-algérien (Censuré jusqu’en 1971)
  • Avoir 20 ans dans les Aurès, René VAUTIER ,  (1972)
  • RAS, d’Yves Boisset (1973).

Les premiers travaux d’historiens sont également publiés dans les années 1960-1970. : Premiers travaux sur la question dès 1958 par Pierre Vidal-Naquet: enquête sur l’affaire Maurice Audin, puis dénonciation de la torture. (c.f. torture)

Les porteurs de valise : Réseau Jeanson sous ordres de Francis Jeanson, qui opéra en tant que groupe de soutien du FLN durant la guerre d’Algérie, principalement en collectant et en transportant des fonds et faux papiers. Jeanson est un résistant de la WWII proche des milieux intellectuels de gauche (Sartre, Les temps modernes) ou Emmanuel Mounier (Esprit).
=> Positions anticolonialistes très fortes, mais pas de soutien partisan (PCF comme PSU votent la répression des événements d’Algérie) Le réseau est démantelé en février 1960 et son procès s’ouvre le 5 septembre 1960 Quinze des inculpés sont condamnés le 1er octobre à dix ans de prison, Jeanson en fuite à l’étranger, jugé par contumace en octobre 1960. Amnistie en 1966.

Manifestations contre l’OAS « Charonne, le 8 février 1962 » : Répression d’une manifestation organisée à Paris par les syndicats CFTC, CGT, UNEF (…) + PCF et le PSU, pour protester contre les attentats perpétrés la veille par des membres de l’OAS et pour réclamer l’arrêt immédiat des opérations de l’armée française en Algérie. Un des cortèges est pris en tenaille par les compagnies d’intervention de la préfecture de police => huit manifestants sont tués métro Charonne (un neuvième décèdera trois mois plus tard de ses blessures), des dizaines sont blessés, dont certains très grièvement.
=> Grève générale est organisée le 9 février. Le 13 février, un impressionnant cortège de plusieurs centaines de milliers de personnes accompagnent en silence les victimes jusqu’au cimetière du Père-Lachaise.

Conclusion partie I

Dernier combat colonial de la France, doublé d’une guerre civile, ce drame a bouleversé les deux rives de la Méditerranée. Entre 300000 et 400000 morts côté algérien, au moins 1 million de paysans déplacés, parqués dans des camps de regroupement. Et le souvenir vivace du traitement réservé aux « fellaghas »: torture, exécutions sommaires, viols, bombardements au napalm…  

Côté français: 1,5 million de jeunes appelés débarquent en Algérie pour participer au « maintien de l’ordre » durant dix-huit mois. Plus de 25000 militaires y sont tués et parfois atrocement mutilés; près de 4000 civils européens enlevés, dont 2300 assassinés; des dizaines de milliers de harkis abandonnés au massacre, et des Français favorables à l’indépendance exécutés par l’Organisation armée secrète (OAS). 

Webdoc du monde sur les acteurs de la guerre : http://www.lemonde.fr/afrique/visuel/2012/07/04/independances-algeriennes_1728358_3212.html

II – Les mémoires officielles du conflit, entre crises et apaisements.

A) Amnésie et hyper-commémoration (1962 – 1990)

1. En France, la négation de la guerre et des mémoires multiples

–  « opérations de maintien de l’ordre » ou de « pacification » face à des « attentats » perpétrés par des « terroristes ».
– lois d’amnistie sont votées, pour les anciens membres de l’OAS comme pour ceux qui ont soutenu les indépendantistes algériens. (1966) Généraux putschistes libérés entre 64 et 66. Loi d’amnistie générale en 1982 => Absence de mémoire officielle concernant la guerre d’Algérie qui a caractérisé la France.
=> »La guerre est ensevelie »Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991.

Facteurs explicatifs
-> le traumatisme du à la perte de l’empire colonial de la France, après la défaite humiliante de 1940
-> la violence utilisée par l’armée française en Algérie remet en cause les valeurs mêmes de la République
-> le contexte des Trente Glorieuses, dans lequel la poursuite du développement économique de la France l’emporte sur les autres préoccupations
-> le choix du régime gaulliste de « l’oubli officiel » comme le massacre d’octobre 1961, par exemple, ou celui du métro Charonne en 1962 au profit de la réconciliation nationale.

Rappel : Massacre du 17 octobre 1961 = répression meurtrière, par la police française, d’une manifestation d’Algériens organisée à Paris par la Fédération de France du FLN pour boycotter pacifiquement le couvre-feu nouvellement appliqué aux seuls Nord-Africains. => Les défilés nocturnes sur les grandes artères de la capitale donnent lieu à des affrontements au cours desquels des policiers font feu. La brutalité de la répression, qui se poursuit au-delà de la nuit du 17 dans l’enceinte des centres d’internement, fait plusieurs centaines de blessés et un nombre de morts qui reste indéterminé, de plusieurs dizaines selon les estimations les moins élevées.

2. En Algérie, une mémoire officielle au service du régime

Mémoire du conflit confisquée et instrumentalisée par le seul FLN au pouvoir. Il impose la vision d’une guerre de libération nationale menée sous sa seule direction et passe sous silence les dissensions : silence sur 10 000 victimes du conflit interne contre les indépendantistes de Messali Hadj, élimination de certains chefs historiques du FLN (Mohammed Boudiaf), sous la présidence de Ahmed Ben Bella. Et l’élimination de Ben Bella lui même après le coup d’Etat de Houari Boumédiène le 19 juin 1965 à Alger, silence aussi sur les massacres de civils européens et sur les harkis) => L’ écriture de l’histoire est entièrement contrôlée par l’Etat jusqu’au début des années 1990

B) La « Guerre des mémoires » (B. Stora)

1. « L’accélération mémorielle » (B. Stora) des années 1980-1990

=>Associations d’anciens combattants, de pieds-noirs, de harkis, etc., militent pour que leur situation soit reconnue. Montée du Front national en France, accueille la « Nostalgérie ». En 1983, la guerre d’Algérie est pour la première fois intégrée dans les programmes scolaires même si l’on parle encore officiellement d’évènements. Puis le sujet s’amenuise jusque dans les programmes de 2011 où la guerre ‘Algérie fait l’objet de chapitres à part entière. La thématique « l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie » sera abordée pour la première fois dans le programme de terminale à la rentrée 2012
=> Années 1990, les témoignages, les publications, les documentaires et les fictions se multiplient sur la guerre d’Algérie => « Accélération mémorielle » (Stora) accompagnée par la presse (« La France face à ses crimes en Algérie », titre Le Monde le 3 mai 2001).
=> Le procès de Maurice Papon, en 1997, remet sur le devant de la scène les événements d’octobre 1961 (Papon est préfet de police de Paris en 61 – 62). => remise en cause du régime d’amnistie et d’amnésie que tous les gouvernements avaient appliqué depuis 1962 à la guerre d’Algérie.  => vote de la loi du 18 octobre 1999, qui reconnait officiellement la guerre d’Algérie. Mais la majorité de gauche et l’opposition de droite ne se mettent pas d’accord sur une date de commémoration.

Pendant la même période, l’Algérie est déchirée par guerre civile, après avoir affronté la révolte des berbères (1980) et des jeunes (1988). Le souvenir de la guerre d’Algérie ne parvient plus à occulter les divisions internes malgré la grandeur des monuments : le Mémorial du martyr érigé en 1982.
Au début des années 1990 l’Etat est en guerre contre les islamistes radicaux, => fin de l’unanimisme des Algériens soudés derrière le FLN. Des historiens algériens commencent à s’emparer du sujet de la guerre, parfois en collaboration avec leurs homologues français : En 2004, B. Stora dirige avec Mohammed Harbi un livre collectif, La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie (Robert Laffont), qui réunit des historiens français et algériens.

2. Les Etats français et algérien et la guerre d’Algérie

=> En France : Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatrié Article 4 (abrogé)
Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée.

=> Mobilisation contre l’article finalement abrogé mais, pour l’Algérie, le mal était fait : la guerre des mémoires était ravivée.

=> En Algérie : L’Organisation nationale des moudjahidins ou les Enfants des martyrs (chouhada) ont leurs fondations, leurs relais d’opinion, jusqu’au sommet de l’État. Idée de la « criminalisation de la colonisation française ». Une revendication reprise => proposition de loi dans en février 2010 (abandonnée en juillet)

Extrait manuel scolaire Algérien (début des années 2000) « Des groupes de personnes ont préféré se vendre à l’ennemi et combattre leurs propres frères, déjà lors des premières révoltes au XIXème siècle, en échange d’argent, de biens et de titres. Ces groupes de harkis ont été responsables des pires répressions contre les civils algériens. ce sont eux qui ont été chargés de brûler les villages, des interrogatoires, de la torture, soit de la sale besogne de l’armée française. »
=>  Aujourd’hui les anciens combattants tels que Mohamed Boudiaf, Messali Hadj, Ferhat Abbas, peu à peu réintroduits dans les manuels scolaires, la doctrine officielle reste que la « guerre de libération nationale » a fait un million et demi de victimes algériennes (on en compterait 300 à 400 000 selon laplupart des historiens). La France s’est, selon certains manuels, rendue coupable d’un « génocide culturel ».
Suite à la loi 2005, traité d’amitié reporté sine dié + de nouveau controle publicaiton des historiens et livres des bibliothèques

C) Vers la paix des mémoires ?

-> Restitution d’archives à l’Algérie mais pas documents sensibles (personnes encore vivantes)

-> Reconnaissances difficiles:
Le 17 octobre 2001, le maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, inaugure sur le pont Saint-Michel une plaque commémorative dédiée « à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ». => Manifestation pour s’opposer à cette commémoration.
Le 17 octobre 2012, le président de la République François Hollande publie un communiqué : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes »  => UMP réagit contre la « Culpabilité permanente de la France » (François Fillon)
Le 19 mars 2016 le chef de l’Etat a rendu hommage aux victimes de la guerre d’Algérie «Alimenter la guerre des mémoires, c’est rester prisonnier du passé. Faire la paix des mémoires, c’est regarder vers l’avenir». => Cérémonie critiquée par la droite et l’extrême droite qui contestent le choix du 19 mars, anniversaire du cessez-le-feu en 1962,

III – Les mémoires de la guerre d’Algérie au prisme des historiens.

A) Les conflits d’historiens sur la mémoire

MEMOIRES : capacité d’un individu ou d’un groupe d’individus à se souvenir du passé. Elle est subjective, dominée par l’affect et objet d’une reconstruction personnelle et collective. Elle peut être l’objet de cérémonies collectives : les commémorations.

HISTOIRE : construction d’un discours scientifique sur le passé. Ce discours s’appuie sur des sources (traces archéologiques, textes, témoignages, images…) que les historiens croisent, confrontent, opposent.

1 – Le débat sur les lois dites « mémorielles »
Loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot », « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ».
Loi du 29 janvier 2001 qui dispose que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » ;
Loi du 21 mai 2001, dite « loi Taubira », « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ».
Loi 23 février 2005, dite « loi Mekachera » « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » d’Afrique du Nord et d’Indochine. + Article 4 abrogé

=> Le 25 mars 2005, une pétition, rassemblant plus de mille signatures d’enseignants et de chercheurs, est publiée dans Le Monde sous le titre « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle. » Elle réclame l’abrogation de la loi et surtout de l’article 4.
=> Dans Libération, le 13 décembre 2005, une deuxième pétition intitulée « Liberté pour l’Histoire » est publiée par le collectif du même nom qui se constitue en association Dix-neuf historiens demandent la modification des quatre lois mémorielles et réclament la séparation de la loi et de l’Histoire. (Dont Pierre-Vidal Naquet, Pierre Nora auteur du livre « les lieux de mémoire »)
=> Le 20 décembre, trente-deux écrivains, juristes et historiens lancent un appel en réaction à cette dernière pétition sous la bannière « Ne mélangeons pas tout ».
C’est la position défendue notamment par le Comité de Vigileance face aux Usages publics  de l’Histoire (CVUH)

=> La polémique a enflé après le dépôt d’une plainte contre l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, fondée sur la loi Taubira, par le collectif « DOM » réunissant Antillais, Guyanais et Réunionnais pour contestation de crime contre l’humanité.

2 – Le débat thématique : la guerre d’Algérie

=> Benjamin Stora, Les années algériennes, réalisée avec les journalistes Philippe Alfonsi, Bernard Favre et Patrick Pesnot, et diffusée par Antenne 2 en septembre 1991. Cette série rassemble une conquantaine de témoignages sur la guerre d’Algérie. =>  Critique dans Peuples méditerranéens n° 58-59 1er semestre 1992 Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Madeleine Rébérioux, Annie Rey-Goldzeiger, Pierre Vidal-Naquet : Les Années algériennes ou la soft histoire médiatique ?

=> La campagne de presse dirigée en 2000 par Le Monde, L’Humanité et Libération contre l’utilisation de la torture par l’armée française durant la bataille d’Alger, récupérant la thèse sur la torture de la jeune historienne Raphaëlle Branche qui fut à son tour attaquée par le Livre blanc de l’armée française en Algérie.
B) Les méthodes de l’historien et la place des témoignages

=> Sources écrites (lettres, documents officiels, cartes, mais aussi courriers personnels, registres d’état civil etc.) Sources picturales – Sources orales (matériaux recueillis par enregistrement lors d’entretiens avec des témoins)=> Travail d’analyse critique de ces sources et leur utilisation dans une recherche.

=> Question de l’écriture de l’histoire : Roman national / analyse rigoureuse

=> Mémoires à la fois source riche d’enseignements, et un objet à part entière

=> En France, les travaux des historiens portent de + en + sur les mémoires de la guerre. Des témoignages multiples et inédits servent de matériaux aux analyses historiques portant sur les appelés, leur rapport à la violence, le déni du passé, etc. Les études portent également sur les combattants du FLN, les harkis, les rapatriés d’Algérie, les prisonniers etc….
=> En Algérie, la mainmise du pouvoir sur l’histoire de la guerre est ébranlée. Mohammed Harbi dénonce les crimes de la colonisation, mais déplore que ceux du FLN soient encore occultés, empêchant ainsi les historiens de faire leur travail. Historiens demandent à « assainir » le passé en faisant toute la lumière sur l’ensemble des faits.
=> De plus en plus, les historiens des deux rives de la Méditerranée travaillent ensemble sur les mémoires de la guerre d’Algérie indépendamment des pressions des Etats et des groupes mémoriels.

C) Les limites de l’historiens : le champ du politique et du social.

1 – La Judiciarisation de l’histoire

Enjeu mémoriel => enjeu de victimisation et de judiciarisation/ Olivier Pétré Grenouilleau  (Journal du dimanche du 12 juin 2005), déclenche la colère de Claude Ribbe (écrivain et historien guada) qui dans une lettre du 13 juin 2005 accuse Pétré-Grenouilleau d’être « aveuglé par son racisme ». Le même jour, un Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais porte plainte pour négation de crime contre l’humanité, la traite des noirs ayant été reconnue comme un tel crime par la loi française no 2001-434 du 23 mai 2001, « tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » (« loi Taubira »).=> Plainte retirée en février 2006

2 – La politisation de l’histoire
Sarkozy et les Gaulois.https://www.herodote.net/La_France_en_plein_doute_existentiel-article-1583.php
Le roman national http://blog.francetvinfo.fr/deja-vu/2016/09/02/quand-francois-fillon-veut-une-histoire-trop-belle-pour-etre-vraie.html

3 – L’historien dans la cité ?
Pour Marc Ferro, depuis 2005 au moins « l’histoire est sous surveillance » : « La situation est devenue complexe : lorsque le contrôle provient de l’Etat et de ses lois, on juge que la liberté ne règne pas ; lorsque cette liberté s’exerce, le contrôle émane alors de la société et de ses groupes de pression. »[Hermès ; n° 52, 2008, p 8].=> Mais si l’histoire est sous surveillance, c’est que l’historien est dans la Cité. Cette position engage autant la médiatisation des travaux historiques, leur impact social, que la responsabilité sociale de l’historien.

Conclusion
Cette guerre des mémoires illustre la crise du modèle républicain français (idée de « choc des civilisations » / intégration / terme inventé de « communautarisme »…) 

En Algérie, la guerre d’indépendance reste fondamentale pour la création de la nation. L’histoire est verrouillée jusqu’aux années 1990 avant d’être secouée par les islamistes. Depuis, l’Etat algérien a, en fait, de moins en moins le contrôle sur l’écriture de l’histoire du conflit.

Les harkis symbolisent toutes les contradictions de l’histoire coloniale ; d’ailleurs, en France, l’image positive du harki n’est que très récente.

Cependant, la démarche des historiens ne peut pas non plus se substituer au combat politique. La Cité de l’immigration a été créée par la droite, mais le projet avait été avancé par la gauche… et le site est celui de l’ancien « musée des colonies ».

-> Comment faire pour réconcilier les mémoires ? La reconnaissance se joue au plan universitaire, intellectuelle, scolaire mais aussi au niveau politique et symbolique. Accepter tous les pans de l’histoire nationale, dont celui de l’histoire coloniale.


Chronologie des mémoires de la guerre d’Algérie
  • 1954-1962: guerre d’Algérie
  • 18 Mars 1962: Signature des accords d’Evian. (Cessez-le feu 19 mars)
  • 3 juillet 1962: Indépendance de l’Algérie.
  • 1964: Loi d’amnistie pour les faits commis pendant la guerre.
  • 1968: Premier ouvrage de synthèse écrit par un journaliste: Yves Courrière,La guerre d’Algérie.
  • 1970: 1ère loi d’indemnisation des «rapatriés»
  • 1972: publication du livre de Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, 1954-1962.
  • 1974 : Les Anciens combattants sont reconnus comme tels officiellement par un vote de l’Assemblée nationale.
  • 1977: Premier ouvrage de synthèse écrit par un historien: Alistair Horne, A Savage War of Peace: Algeria 1954-1962.

 

  • 1982: Amnistie des généraux putschistes d’avril 1961.
  • 1983: La guerre d’Algérie entre dans les programmes scolaires.
  • 1992: Expiration du délai de 30 ans qui permet l’ouverture des archives en France.
  • 1999: Loi officialisant l’appellation «guerre d’Algérie».
  • 2003 : inauguration du monument national érigé quai Branly à Paris à la mémoire de tous les soldats morts en Afrique française du nord (AFN) de 1952 à 1962
  • 2003 : 5 décembre, journée de l’hommage aux morts de la guerre d’Algérie
  • 2012 : Le 19 mars est institué journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
  • 2016 : François Hollande premier président français à se rendre aux commémorations

 


Pour réussir l’évaluation de ce chapitre il faut

Des connaissances :

  • Connaitre le cours- Les éléments principaux sont ici, le cours pratiquement en entier est sur pronote
  • Connaitre les grandes étapes de la guerre d’Algérie
  • Connaitre les étapes marquantes de la question des mémoires
  • Savoir expliquer les mémoires des différents acteurs de la guerre d’Algérie (I)
  • Savoir expliquer les positions des Etats français et algériens sur la question (II)
  • Savoir présenter les enjeux du débat entre histoire et mémoires (III)
  • Savoir présenter le travail de quelques historiens et leurs apports dans le débat.

Des compétences :

  • Savoir analyser et identifier les grandes idées d’un ou des documents et les rapporter aux connaissances pour en montrer la portée ou les limites : fiche-methode-1-etude-de-doc
  • Savoir rédiger un texte développé et argumenté s’appuyant sur des exemples concrets (dates, acteurs …) et des références précises (historiens, auteurs, films…)

Un peu de travail supplémentaire

Des auteurs à connaitre :
Pierre VIDAL-NAQUET, « La raison d’Etat« , Editions de Minuit, 1962,
Raphaëlle BRANCHE, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard 2001, 474p
Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991. (« La guerre est ensevelie »)

Des romans
BELEZI Mathieu, C’était notre terre, 2008  (Albin Michel).
CAMUS Albert, Le premier homme, Gallimard , 1994 (inachevé)
DE MARTINOIR Francine, L’Aimé de juillet  Éd. J. Chambon, 2009
DAENINCKX, Didier. Meurtres pour mémoire. Paris, Gallimard, 1984.
KHADRA Yasmina, Ce que le jour doit à la nuit, Paris, éd. Julliard,‎ 2008
STORA Benjamin, Les clés retrouvées – Une enfance juive à Constantine. Editions Stock, 2015.

Des films :
La Bataille d’Alger (1965). Film de Gillo Pontecorvo, Italie/Algérie, 1h58
Avoir 20 ans dans les Aurès (1972). Film de René Vautier, France, 1h40
R.A.S. (1972). Film d’Yves Boisset, France, 1h53
L’Ennemi intime (2007) Film de Florent-Emilio Siri, France, 2007, 1h48
Hors la loi (2010) Film de Rachid Bouchareb, France, 2h17

Des documentaires

La Guerre sans nom (1992). Documentaire de Bertrand Tavernier, France, 3h55