TH7 – Gouverner la France depuis 1946 : État , gouvernement, administration

(Cours de synthèse distribué en classe : Manuel Nathan + lycée adultes)

L’Etat occupe une place centrale en France, où il a contribué à la construction de la nation.  Après 1946, le modèle français d’Etat, intégrant une conception particulière du gouvernement et de l’administration, connaît de profondes évolutions, qui accompagnent celles de l’Etat-providence et des autres échelles de gouvernement (mondiale, européenne, mais aussi infra-étatique).
Problématique : Comment la politique de l’Etat est-elle définie et mise en œuvre en France depuis 1946 ?

I – L’âge d’or de l’Etat (1946 – fin des années 1960)

A°) La continuité de l’Etat à travers deux Républiques

Avec l’avénement de la IVème République, en 1946, la France redevient une démocratie parlementaire à laquelle participent les femmes. Mais elle s’effondre en 1958, minée par l’instabilité gouvernementale et dépassée par la guerre d’Algérie. De Gaulle fonde alors la Vème République avec un pouvoir présidentiel beaucoup plus fort (Art. 16, bicéphalisme etc…). Mais cette rupture politique ne doit pas masquer la réelle continuité que connait la France depuis 1946.

La France de la IVème République connaît une instabilité gouvernementale chronique.
Les institutions de la IVème République, en vertu desquelles l’Assemblée nationale est élue au scrutin proportionnel, ne permettent pas d’assurer de majorité solide et stable. Vingt-deux gouvernements se succèdent en moins de onze ans, et un seul dépasse les 18 mois d’existence. Ces gouvernements sont donc toujours menacés d’être renversés par l’Assemblée, et sont privés de la possibilité de se projeter dans le long terme. Cela est dû à la double investiture qui n’était pourtant pas prévue par la constitution.

Certains ministres connaissent cependant une relative stabilité dans leur domaine d’action. Ainsi Georges Bidault et Robert Schuman se relaient au poste de ministre des Affaires étrangères de septembre 1944 à juin 1954. De plus, l’apparition de technocrates dans les cabinets ministériels, hommes issus de l’ENA ou de l’IEP stabilisent l’organisation de l’Etat malgré le changement des membres du gouvernement.
Certains des présidents du conseil ont marqué la vie politique par leur action réformatrice. C’est le cas notamment de Pierre Mendès France et de Guy Mollet (1905-1975, secrétaire général de la SFIO de 1946 à 1969, il dispose grâce à son parti d’un grand poids au Parlement et dans l’Etat ; président du conseil en 1956-1957, il mène une politique contractuelle associant syndicats et patronat). La chute de la IVe République en 1958 tient donc autant aux circonstances extérieures (la guerre d’Algérie), qu’aux faiblesses internes du régime.

Les dirigeants politiques de la IVème comme de la Vème restent attaché à la centralisation. Les structures administratives inspirées par le jacobinisme de la révolution et de l’Empire sont conservées. Les préfets, nommés par le pouvoir exécutif, continue de contrôler strictement els collectivités territoriales.

IV republique

V republique

B°) L’intervention grandissante d’un Etat modernisé

Le programme du CNR inspire très largement la génération qui dirige la IVème puis la Vème République. Elle souhaite que l’Etat intervienne dans le domaine social pour corriger les inégalités et dans le domaine économique pour reconstruire et moderniser la France.

La mise en place de l’Etat-providence est le garant de la cohésion sociale. Ex. : ordonnance de février 1945 créant les comités d’entreprise (continuité des accords Matignon de juin 1936), préambule de la constitution de 1946 qui garantit l’égalité des droits des femmes, le droit au travail, les conventions collectives dans le domaine des entreprises, le droit de l’enfant et de la famille, entre autres, la loi du 22 mai 1946 organisant la Sécurité sociale, loi de 1947 sur les Habitations à loyer modéré (HLM).

Suivant les idées de Keynes (développées pendant l’Entre-deux-guerres aux Etats-Unis par Roosevelt), l’Etat devient un vecteur de progrès économique. La planification contribue ainsi à la reconstruction et à la modernisation du pays.
Par les nationalisations, l’Etat devient un acteur économique majeur, en particulier dans les secteurs de la banque, de l’assurance, de l’énergie et de l’automobile (Renault).
De 1944 à 1946, une importante vague de nationalisations touche les banques, les assurances, la producTion d’énergie (charbon, gaz, électricité) et les transports. L’Etat emploie alors 6% des actifs. Un plan oriente les investissements vers les secteurs jugés prioritaires. dans les années 1960, l’intervention de l’Etat s’accroit encore. Il finance plus de 50% des investissements industriels et soutient de grands projets : programme spatial, avion supersonique … Pour réduire les inégalités régionales, la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) accompagne la conception des villes nouvelles, des zones industrielles ou des stations balnéaires.

C°) Une administration réformée

Pour remplir ce rôle, l’Etat a besoin d’agents mieux formés. C’est le rôle de l’ENA, créée en 1945 pour moderniser la haute fonction publique. En tant qu’employeur, l’Etat donne l’exemple en promulguant en 1946 un statut général unifié de la fonction publique, qui garantit l’emploi et reconnaît le droit syndical et le droit de grève à ses agents. Des anciens élèves de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) ou de l’école polytechnique sont aussi nommés conseillers ministériels ou à la tête d’entreprises publiques. certains entament une carrière politique et deviennent ministres. enfin de nouveaux organismes publics aident l’Etat dans sa tâche comme l’INSEE qui, depuis 1946, mène des enquêtes et publie des Statistiques.

I I – Un Etat en crise (1968 – 1988)

A°) Un Etat moins autoritaire pour une société plus ouverte

Une partie des français se révolte en mai 1968 contre un Etat jugé conservateur,incarné par un général de Gaulle vieillissant. cette crise politique est surmontée par le pouvoir gaulliste, mais elle oblige les dirigeants à être plus à l’écoute de l’opinion. De Gaulle démissionne en 1969 après l’échec d’un référendum.

La nouveau président, Georges Pompidou choisit comme premier ministre Jacques Chaban-Delmas entouré de conseillers venus de la gauche, celui-ci prône « une nouvelle société » où l’emprise de l’Etat serait mois forte : il compte moderniser l’économie, mettre en œuvre des privatisations, diminuer le poids de l’administration et relâcher le contrôle de l’État sur l’audiovisuel (ORTF). Ce projet, qui marque une rupture avec le renforcement continuel de la place de l’État dans le pays, se heurte à l’hostilité des gaullistes, et Chaban-Delmas est remplacé en 1972 par Pierre Messmer, qui met un terme à la politique réformiste. Néanmoins, la même année, un début de décentralisation est engagé avec la mise en place de conseils régionaux – mais ceux-ci ne sont pas élus et son placés sous l’autorité des préfets. Le 2 avril 1974, le Président Pompidou décède et de nouvelles élections sont organisées.

Valéry Giscard d’Estaing succède à Georges Pompidou. C’est un libéral, qui entend « gouverner la France au centre » et se distingue par son style de ses deux prédécesseurs, affichant une modernité affirmée. De 1974 à 1976, il met en place une série de réformes de société : la majorité est abaissée de 21 à 18 ans, un secrétariat d’État à la condition féminine est créé, la loi Veil légalise l’interruption volontaire de grossesse (1974) et le divorce est facilité. D’autre part, une garantie de ressources est accordée aux demandeurs d’emploi. En effet, le début du septennat de Giscard d’Estaing coïncide avec celui de la crise économique et de la montée du chômage en France.

En 1976, le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, est remplacé par un économiste, Raymond Barre. Celui-ci a pour objectif de lutter contre la crise. Il met en œuvre des mesures libérales afin de lutter contre l’inflation. Toutefois, le chômage continue d’augmenter et le second choc pétrolier (1979) et la persistance de la stagflation ruinent les efforts du gouvernement Barre. Le Président doit également faire face à une opposition politique croissante : à gauche, l’opposition socialiste et communiste, à droite, le RPR fondé par Jacques Chirac en 1976. Et le 10 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing est battu aux élections présidentielles par le candidat unique de la gauche, François Mitterrand.

B°) Les réformes du gouvernement socialiste (1981 – 1983)

Avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la république, en mai 1981, la Gauche arrive au pouvoir pour la première fois sous la Vème République. Le début du septennat de François Mitterrand se caractérise par une série de réformes économiques et sociales qui redonnent une place majeure à l’État dans l’ensemble des domaines : baisse du crédit et des taux d’intérêt, revalorisation du SMIC et des bas salaires, réduction du temps de travail hebdomadaire, cinquième semaine de congés payés et abaissement de l’âge de la retraite. Le gouvernement, dirigé par Pierre Mauroy, lance une politique de nationalisations et l’État investit comme jamais le domaine de la culture, avec le renforcement du budget du ministère confié à Jack Lang. À l’inverse, il desserre l’emprise de l’État sur les médias (« radios libres », Haute autorité de la communication audiovisuelle en 1982, chargée de garantir l’indépendance des médias).

Mais le changement le plus durable concerne les rapports entre l’Etat central et les « provinces ». Le maire de Marseille Gaston Defferre est nommé ministre de l’intérieur et de la décentralisation. Il fait voter 3 lois en 1982 – 83 par lesquelles l’Etat transfert de nombreuses compétences aux institutions locales de Métropoles et d’Outre-mer (gestion des établissements scolaires, des moyens de transports, aménagement du territoire etc. )
Les 22 régions deviennent des collectivités territoriales, le pouvoir exécutif des préfets est transféré aux élus départementaux et régionaux.

On peut observer que cette politique de  » changement  » se situe dans le contexte d’une profonde remise en cause du rôle de l’État au plan international. Dans le monde anglo-saxon, le choix d’une orientation ultra-libérale (déréglementation financière et libéralisation de l’économie sous les administrations Reagan et Thatcher) provoque un désengagement généralisé des États qui sont cantonnés à leurs fonctions régaliennes.
La victoire de Mitterrand en 1981 s’explique surtout par l’incapacité des gouvernements précédents à sortir de la crise économique. Le gouvernement adopte une politique de relance et accroit le rôle de l’Etat par les nationalisations mais le chômage continue d’augmenter.

C°) Un premier recul du rôle de l’Etat (1983 – 1988)

En mars 1983, le premier ministre Pierre Mauroy annonce une politique de rigueur. De 1984 à 1986, le nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, limite l’intervention de l’État dans l’économie et la gauche abandonne l’idée de renationaliser, ce qui marque pour la première fois un retrait de l’État dans la vie économique du pays. Mais la droite remporte les législatives en 1986 ce qui conduit à la cohabitation entre le président François Mitterrand et le gouvernement de Jacques Chirac, adepte du libéralisme. Le nouveau gouvernement prend le contrepied des réformes socialistes en renonçant au dirigisme économique et en lançant une vague de privatisation.
Malgré la réélection de François Mitterrand en 1988 et le retour d’un gouvernement de Gauche dirigé par Michel Rocard, cette politique libérale n’est plus remise en cause. Il n’y a plus de consensus en France en faveur d’un Etat omniprésent. La droite gaulliste s’est largement ralliée au libéralisme. La gauche défend l’intervention de l’Etat mais dans le cadre du système capitaliste.

L’Etat providence longtemps considéré comme un facteur de progrès, est désormais critiqué par les libéraux qui dénoncent une protection sociale trop couteuse.

Pour le mardi 9 mai : Rendre sur feuille le dossier sur la décentralisation

III – Un Etat en constante adaptation depuis 1989

A°) Un Etat soumis à des contraintes de plus en plus fortes

A l’échelle mondiale le libre-échange, encouragé par l’OMC favorise les délocalisations d’entreprises, entrainant des licenciements que l’Etat ne peut plus éviter. A cause des difficultés économiques, le déficit public se creuse. Il est comblé par des emprunts auprès d’organismes souvent étrangers. La dette publique est passée de 40% du PIB en 1992 à 96,2% en 2015.

A l’échelle européenne, l’Etat français « abandonne » une partie de sa souveraineté aux institutions européennes. Les engagements de la France auprès de l’Union Européenne doivent être respectés : plus de 25% des lois françaises retranscrivent des directives de l’UE. L’euro a remplacé le Franc en 2002 et le pacte de stabilité et de croissance fait peser une pression sur la France pour réduire ses dépenses et sa dette.

Bruxelles est ainsi souvent accusée d’être à l’origine de tous les maux des Européens en général (c.f. Brexit) et des Français en particulier. Pourtant ce sont bien les Etats qui font la politique européenne qu’ils votent via un parlement élu au suffrage universel ! Par ailleurs les critères de Maastricht (Déficit inférieur à 3% et dette inférieure à 60% du PIB) ne sont respectés que par la Suède et le Danemarc dans les pays riches et quelques pays dont l’économie fragile et dépendante ne peut être regardée qu’à l’aune de ces critères (Pays baltes, Roumanie, Bulgarie)

B°) Administrer les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales

La réduction des déficits est un leitmotiv des gouvernements, tous les candidats aux élections présidentielles s’engagent ainsi à réduire le déficit et à limiter les dépenses de l’Etat. Ainsi en 2011, l’age de départ à la retraite est passé de 60 à 62 ans et la durée de cotisation des travailleurs a été allongée (43 annuités pour une retraite à taux plein pour les personnes nées après 1973 )
Si l’Etat augmente les cotisations sociales et les impôts, il limite aussi ses dépenses (dépenses de fonctionnaires : gel des salaires, non remplacement d’un départ à la retraite sur deux) et renonce à remplir certaines missions (fin de la planification)

Depuis 2003, la décentralisation est inscrite dans la Constitution et les compétences des collectivités territoriales en particulier celles des régions sont accrues. Désormais les autorités locales financent près de 58% de l’investissement public. Les maires, les présidents d’assemblée départementale ou régionale sont impliqués (mais pas toujours décisionnaires) dans toutes les décisions concernant leurs territoires. Ls collectivités n’ayant que peu de ressources propres (% de la taxe d’habitation et taxe foncière + contribution économique territoriale), ce transfert de compétences doit être accompagné des ressources nécessaires distribuée par l’Etat (Dotation Globale de Fonctionnement décidée par l’Etat) ce qui donne lieu à un certain nombre de conflit.

C°) Gouverner : La résistance de l’Etat

Une crise de confiance ? de l’Etat alimente les débats sur le rôle du pouvoir politique. Le sentiment d’une impuissance de l’Etat et d’une inefficacité de la classe politique explique la montée de l’abstention ou du vote protestataire
c.f. élection 2017 : s’appuyer sur la société civile, renforcer ou limiter l’Etat, changer le personnel politique, changer de système (VIème République)…

Face aux nouvelles menaces, l’Etat est plutôt conforté dans ses fonctions régaliennes (Attentas, protection du territoire). De nouveaux chantiers s’ouvrent par ailleurs dans lesquels l’Etat montre plus ou moins de réussite : Ecologie (COP21), luttes contres les discriminations (Mariage entre personnes du même sexe).

En France l’Etat reste relativement protecteur (Education nationale, Hôpitaux publics, même si certains voient une menace forte sur ces secteurs dans les mesures prises par les gouvernements successifs. L’Etat reste par ailleurs actionnaire d’entreprises stratégiques (EDF) ou qu’il veut sauver de la faillite (Peugeot – Citroën)….