Etude de cas : Mumbai, modernité, inégalités
L’Asie du Sud et de l’Est (ce qui exclut donc l’Asie centrale et la partie orientale de la Russie) concentre la majeure partie de la population mondiale avec plus de 3,5 milliards d’habitants. Elle est la partie du monde qui connaît actuellement la plus forte croissance économique. Si la croissance n’a pas permis la disparition de la grande pauvreté, on observe une réduction spectaculaire de celle-ci. Il n’en reste pas moins une pauvreté de masse (en Asie du Sud, les très pauvres sont aussi nombreux en valeur absolue qu’en 1980) qui questionne les liens existants entre population, croissance économique et développement dans cet espace.
L’urbanisation en Inde au cours des 50 dernières années s’est accompagnée d’un mouvement de métropolisation, alors que les petites villes ont tendance à stagner dans la plupart des régions. En 1951, l’Inde comptait 5 agglomérations urbaines de plus d’un million habitants, représentant 19 % de la population urbaine totale ; en 2005, 40 agglomérations de plus d’un million habitants abritent 40 % de la population urbaine
En 2005, sur les 20 mégapoles mondiales (plus de 10 millions d’habitants), 3 étaient situées en Inde: Mumbai, Delhi et Kolkata qui ont plus de 15 millions d’hab, Madras-Chennai, Bangalore, Hyderabad ont toutes plus de 6 millions d’habitants
Mumbai, la métropole la plus peuplée du pays, ancien grands comptoir de création coloniale comme Kolkata et Chennai a bénéficié d’une situation géographique favorable et s’est développée de manière spectaculaire jusqu’à dépasser 21 millions d’habitants, dont au moins 6 millions vivent dans des bidonvilles.
Problématique : En quoi le cas de Mumbai est-il révélateur à la fois du dynamisme économique de l’Asie du Sud et de l’Est et des profondes inégalités qui affectent cet espace ?
I – Une métropole mondiale, point d’ancrage de l’Inde à la mondialisation
A. Une métropole industrielle en restructuration
Mumbai a d’abord été un ensemble de sept ilots, occupés par des pécheurs et des plantations.
- Sa situation, au bord de la mer d’Oman, tournée vers l’Afrique et l’Europe, en a fait la « Porte de l’Inde » pour les Portugais puis pour les Britanniques, sous le nom de Bombay qu’elle a conservé jusqu’en 1996, avant de prendre la nom marathi de Mumbai.
- Les Britanniques en ont fait la capitale industrielle du pays et sa croissance a été rapide depuis le XIXe siècle :
– 1853: construction du premier chemin de fer d’Asie, entre la ville et celle de Thane, (c.f. gare Victoria)
– première filature de coton dans le centre de la ville à la même date.
– 1869, l’ouverture du canal de Suez qui facilite l’arrivée des bateaux à vapeur et suscite l’expansion des docks. - La prospérité s’est donc construite depuis 1850 autour de l’industrie textile et du commerce, mis en place par les Anglais et diverses communautés indiennes. Bombay est devenue la capitale économique du pays dans les années 1920.
Mumbai est un des moteurs de l’économie du pays, avec les villes du Sud comme Bangalore, spécialisées dans l’industrie informatique.
- Activité industrielle représente 25 % de celle du pays ; plus de 40 % de ses actifs sont employés dans l’industrie (55% dans les services).
- Diversité des activités : chimie, mécanique (machines et véhicules),électricité, agroalimentaire (pêcheries). A proximité de l’aéroport se trouve une zone franche spécialisée dans l’électronique et la taille des pierres précieuses.
- L’activité industrielle et artisanale, est aussi intense dans les bidonvilles : Le bidonville de Dharavi est une zone industrielle à part entière dont le chiffre d’affaire annuel est évalué à 400 millions d’Euros. Une étude récente estime que Dharavi compte 5000 unités industrielles dont 20% dans le textile, 20% dans la poterie, 15% dans le recyclage et la ferraille, 10% dans l’industrie du cuir, 10% dans la broderie. On y trouve en outre une centaine de restaurants et plusieurs milliers de boutiques.
B. Une métropole insérée dans la mondialisation
Mumbai, « porte des Indes » est la capitale économique de l’Union indienne ; elle est devenue la « vitrine » de la modernité de l’Inde par laquelle le pays affirme son statut de puissance émergente.
Une concentration de services rares unique en Inde
- La ville concentre de nombreuses activités tertiaires et une capacité décisionnelle unique en Inde grâce à la présence des sièges sociaux des plus grandes entreprises indiennes et accueille de nombreuses firmes étrangères.
- 70 % des transactions de capitaux de l’économie indienne y sont réalisées
- Mumbai compte parmi les 10 plus importantes plates-formes financières mondiales par l’importance des flux ; elle abrite la Banque de réserve indienne, la Bourse de Mumbai, la Bourse nationale d’Inde.
- Mumbai est l’un des principaux pôles d’enseignement supérieur et de recherche en Asie du Sud-Est: institut Tata pour la recherche fondamentale, centre de recherche atomique différents instituts de recherche sur les technologies de l’information, écoles de commerce, d’architecture, et l’université de Mumbai fondée en 1857.
- Capitale du divertissement, la ville abrite la plupart des studios de film et de télévision indiens, à Film City, près du parc Gandhi au nord de l’aéroport. L’industrie du film de Mumbai, qui n’est pas la seule de l’Inde (on produit des films de Chennai – ex Madras – Kolkata, New Delhi, Bangalore etc.) est celle qui s’exporte le plus, vers le sous continent, les Indiens expatriés, les pays arabo-musulmans et d’Asie du sud-est et l’Afrique. On a forgé pour elle le terme de Bollywood.
Mumbai, un important carrefour
- portuaire (40 % du commerce maritime indien) ; Les principaux produits d’importation sont les produits chimiques et métallurgiques, le matériel de transport, le sucre et le bois de construction. Le port exporte du charbon et certains minerais, du coton, du cuir et de la laine, des produits agro-alimentaires – céréales, huile, thé -.
- ferroviaire : réseau de banlieue, réseau national desservant tout le pays.
- aéroportuaire: 1er aéroport de l’Inde devant Delhi, de nombreuses liaisons vers l’Europe, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique de l’Est et les Etats-Unis.
C’est ici que sont perçus 60 % des taxes douanières du pays.
Même si son produit urbain brut (un peu moins de 100 milliards de $) reste modeste au regard des autres grandes villes internationales (500 pour Paris, + de 1700 pour Tokyo), il représente 4 à 5 % du PIB de l’Inde et joue un rôle stratégique pour l’intégration de son économie nationale dans l’économie mondiale. Pour certains auteurs, Mumbai pourrait être assimilée à une ville globale bien qu’elle soit encore très fortement dépendante de la sous-traitance et de l’externalisation des activités par des firmes originaires des pays de la Triade
II. Une forte croissance qui se traduit dans l’organisation de l’espace urbain
Elle est liée à la forte attractivité de la ville pour des millions d’Indiens : le revenu moyen, est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale (le double ou le triple, soit entre 2000 et 3000 $ par an au lieu de 1000). 50 % de l’accroissement démographique résulte de migrations depuis d’autres régions : plus d’1 million de personnes entre 1991 et 2001.
C’est aussi une ville caractérisée par des records mondiaux de densité : la densité dans la ville de Mumbai est de 50 000 h/km2, soit 3,5 fois plus qu’à New York et 7 fois plus qu’à Londres. Les pics atteignent plus de 100 000 h/km2 dans certains quartiers du centre
La ville s’étend de plus en plus, depuis son centre d’affaire, le quartier de Colaba, au sud du petit archipel originel, jusqu’aux banlieues éloignées du nord, de l’est et du sud, situées jusqu’à une soixantaine de kilomètres du centre, et débordant sur le continent.
(Voir croquis)
A. Les quartiers centraux
Au sud, le quartier d’affaire du Fort et les quartiers résidentiels anciens.
Les installations militaires qui lui ont donné son nom ont maintenant disparu, et le quartier est devenu celui des affaires et de l’administration ; on y trouve :
– les monuments de l’époque coloniale (la porte des Indes, l’hôtel Taj
Mahal, le fort) et des institutions (l’Hôtel de ville, les universités), un front
de mer où sont installés de grands hôtels
– un quartier d’affaires disparate fait d’un vieux bâti colonial (armateurs, banquiers, industriels, sont encore souvent installés dans des bâtiments de cinq ou six étages, de style néo-classique, ou néo-gothique victorien) et de hautes tours récentes (CBD moderne de Nariman Point).
– Les quartiers résidentiels aisés entourent le « fort » : ceux de la pointe de Colaba et de la colline de Malabar (à l’Ouest, du côté de l’océan Indien) sont anciens, et leurs villas éparse dans la verdure. On y trouve des immeubles collectifs très luxueux, avec vue sur la baie, mais aussi des immeubles destinés aux classes moyennes et des « settlements » d’occupation spontanée.
Au nord du Fort et de ses quartiers résidentiels aisés, on trouve :
– Le port, qui s’étend sur une dizaine de kilomètres, sur la façade orientale de la presqu’ile. Etant devenu insuffisant de nouvelles zones industrialo-portuaires se sont déplacées de l’autre coté de la baie, au nord et à l’est faisant du port Jawaharlal Nehru Port Trust le prmier port d’Inde.
– La vieille ville indienne, créé pendant la « phase de comptoirs » avant 1850, qui s’est beaucoup densifiée depuis. Elle forme aujourd’hui un ensemble très congestionné
– De vieux quartiers industriels (Parel, Worli) avec leurs logements sociaux du début du XXe siècle (Chawls) et leurs cheminées d’usine, aujourd’hui reconverties en bureaux ou en centres commerciaux (malls) ; => gentrification
B. De nouveaux aménagements en périphérie
Nouveaux CBD : multiplication des tours à Nariman Point ou dans le nouveau centre d’affaire moderne de Bandra Kuria Complex : ce nouveau centre financier international vise à désengorger le sud de Bombay ; s’y sont installés la bourse nationale des valeurs, la bourse du diamant et plusieurs sièges de grandes institutions financières et bancaires (Bank of India).
Nouvelles infrastructures : le symbole des nouvelles infrastructures et des aménagements est le pont maritime Bandra Worli Sea link, un pont à hauban de 5,6 km, supportant huit voies de circulation, qui relie le nouveau centre d’affaires de Bandra au quartier de bureaux de Worli en plein développement. Il réduit considérablement la durée de transport des 40 000 véhicules qui l’empruntent chaque jour, et est financé par un péage.
Nouveaux quartiers industriels : les studios de cinéma et l’aéroport (Andheri, Juhu, Santa Cruz) sont aménagés en périphérie. La plus importante, au nord de l’aéroport, est la Santacruz Electronics Export Processing Zone (SEEPZ). C’est une zone franche spécialisée dans l’électronique, l’informatique… et la joaillerie. Elle compte 150 usines.
Zone franche : Zone géographique présentant des avantages fiscaux afin d’attirer l’investissement et de développer l’activité économique.
Une ville nouvelle : Navi Mumbai – L’aménagement de cette nouvelle ville (la plus grande ville planifiée au monde) devait permettre de désengorger le centre- ville de Mumbai. Cependant Navi Mumbai est principalement habitée par les classes moyenne et demeure très dépendante de Mumbai centre.
III. Une ville fortement marquée par les inégalités
A. Pénurie de logement et fragmentation spatiale
Mumbai est à la fois une des villes les plus chères du monde et une des villes où l’on trouve parmi les plus grands bidonvilles. C’est surtout une ville de plus en plus fragmentée.
L’organisation socio-spatiale respecte globalement un gradient de richesse qui diminue du sud au nord et de l’ouest à l’est (c.f. II) . Au-delà de ce découpage, le paysage urbain montre une fragmentation importante avec des ilôts de richesse et de pauvreté dissémimnés sur tout le territoire. Des usines (le long des voies ferrées) alternent avec des quartiers résidentiels moyens, quelques unités résidentielles riches, des villages de pêcheurs et aussi des bidonvilles au bord des marécages ou sur le flanc des collines. Le tout forme des noyaux urbains moins denses où le plus confortable voisine donc avec le plus misérable, et l’agglomération se perd peu à peu dans les marécages.
Les anciennes bâtisses des quartiers commerçants de Worli ou Parel sont peu à peu rachetées et démolies pour construire des immmeubles plus modernes et plus rentables. Ainsi les quartiers arabe et chrétien suivent un processus de gentrification très important qui s’étend au fil du temps.
Le parc Sanjay Gandhi, au nord de la ville, est victime de coupes sauvages de bois et d’un grignotage permanent de sa superficie par extension des bidonvilles qui se trouvent à proximité. Abritant un effectif résiduel de populaitons tribales (Adivasis), il est aujourd’hui géré comme une nature-forteresse, protégé des installations ou coupes suavages. Pour assurer leur confort et leur sécurité, les catégories aisées ont de plus en plus tendance à se replier dans des résidences fermées: Gated Commmunities
La ville a grandi en raison d’une très vive croissance urbaine. Celle-ci s’est souvent faite sous la forme de quartiers informels ou d’habitats précaires. Dharavi, dont la population est évaluée entre 600 000 et 1 million d’hab. (soit près de 100.000 familles), se situe sur un site marécageux, au bord de la baie de Mahim, le long des lignes de chemin de fer desservant les banlieue et le reste du pays. Ce bidonville est aussi un grand bazar, à l’artisanat actif (tanneries, cordonneries profitant de l’eau de la baie, poteries, industrie textile).Dans ces quartiers (slums) qui regrouperaient aujourd’hui plus de 6 millions d’habitants, la population n’a pas accès aux services de base (eau, transports) 65% des ménages ne disposent que d’une seule piècepour vivre, avec une taille des ménages moyenne de 5 personnes. Partout dans l’agglomération, des bidonvilles se glissent dans les interstices urbains.Plus de la moitié de la population de la Municipalité vit dans ces slums, de l’occupation la plus précaire de trottoirs à des ensembles plus consolidés et très actifs comme Dharavi.
Le re-développement des bidonvilles
Tous les quartiers informels du centre de l’agglomération, font l’objet de convoitises des promoteurs immobiliers, d’autant plus que les dynamiques urbaines actuelles les ont placé à la jonction de la ville et de ses banlieues, sur des terrains idéalement situés.
Le grand projet actuel est celui qui concerne Dharavi: depuis 2004 un vaste plan de développement très controversé est à l’ordre du jour : le Dharavi Redevelopment Project. Le DRP proposé par la municipalité et un architecte indien ayant fait fortune aux Etats-Unis, Mukesh Metah, se proposait de reloger 57 000 familles pauvres dans des appartements de 28m2(pour des familles de 5 à 10 personnes) en finançant l’opération par la vente d’immobilier de luxe ;
La majorité des résidents non consultée en amont s’est cependant opposée au projet, en particulier ceux qui y travaillent, comme les potiers (qui ont des droits reconnus sur leurs terrains) ou les petits entrepreneurs et employés de la confection qui ont besoin de locaux vastes et préférentiellement en rez-de-chaussée et le plan est praitquement au poitn mort malgré la réfection de quelques ilôts dans Dharavi.
B. Des problèmes de mobilités et d’environnement
Les problèmes liés à l’engorgement ont conduit à des politiques d’aménagement favorisant la délocalisation des activités industrielles vers la périphérie. Une nouvelle législation interdit les usines polluantes dans la ville même.
Des transports publics anciens, saturés et déficients
Mumbai fait partie des métropoles indiennes qui disposent d’un véritable réseau de transport public largement utilisé (autobus, trains de banlieue) mais qui reste insuffisant et surencombré. Les transports publics comptabilisent près de 90% des déplacements journaliers, mais les trains transportent deux fois et demi leur capacité de voyageurs, la régulation du trafic est complexifiée par la variété des modes de transport aux vitesses très différentes sur les mêmes voies.
Nouvelles infrastructures : Le symbole des nouvelles infrastructures et des aménagements est le pont maritime Bandra Worli Sea link, un pont à hauban de 5,6 km, supportant huit voies de circulation, qui relie le nouveau centre d’affaires de Bandra au quartier de bureaux de Worli en plein développement. Il réduit considérablement la durée de transport des 40000 véhicules qui l’empruntent chaque jour, et est financé par un péage.
Nouveaux moyens de transports collectifs : La société Reliance a obtenu en 2007 le contrat de construction et d’exploitation de la ligne 1 du métro de Mumbai. A terme, en 2021, 12 stations et 3 lignes devraient avoir été construites et permettre de transporter 1,5 millions de voyageurs par jour. La RATP et Veolia Transport sont partie prenante de l’exploitation. Cependant le tarfis du métro en font un moyen de transport inaccessible aux plus pauvres et sa fréquentation est bien moindre que celle qui était attendue.