2H3 – La chrétienté médiévale

Etude de cas – L’abbaye de Fontenay

La vie des moines de l’ordre de Cîteaux est d’abord dédiée à la prière. De Matines à Complies, les moines prient huit fois par jour, ce qui représente environ 6 heures de leur journée. Bernard de Clairvaux condamne les décors somptueux et l’or des Eglises qui détourne le moine de sa tâche. Au contraire l’abbaye cistercienne se veut épurée tout entière tournée vers la spiritualité.

L’abbaye est aussi un lieu de travail. Les moines se consacrent ainsi au travaux des champs, aux plantes médicinales mais leur activité principale se déroule dans le scriptorium (la salle de travail des copistes), dans lequel les moines copient les livres saints pendant près de 7 heures par jour.

A l’instar de l’abbaye de Fontenay, entre les XIème et XIIIème siècles, les églises et abbayes se multiplient. L’Église, en tant qu’institution, impose son autorité sur la communauté des fidèles chrétiens d’Occident. Être chrétien au Moyen-âge n’est pas un choix, c’est un fait. Chaque enfant qui naît entre dans la chrétienté par le baptême. On entend donc par chrétienté, l’ensemble des fidèles situé sur un espace chrétien dominé par l’Église romaine.

Bien que les dissensions et hérésies existent, l’Église est le pouvoir politique dominant en Europe, elle est la colonne vertébrale autour de laquelle s’organise la chrétienté et le pouvoir temporel.

Comment les sociétés médiévales s’organisent-elles autour du christianisme ?

I – Le Spirituel et le Temporel, l’Eglise une institution puissante et structurée

A) L’organisation de l’Eglise

Les ecclésiastiques (εκκλησία : assemblée), appelés aussi clercs (clericus, κλῆρος : homme d’église), forment le Clergé. Ils s’opposent aux Laïcs qui forment le reste de la société

Le clergé séculier (prêtres) et le clergé régulier (moines) encadrent la société. Leur mission est de conduire les laïcs au salut. En retour, ceux-ci doivent les défendre et les nourrir (dîme : 1/10 des récoltes). => Eglise est très riche. Souvent 2ème fils du seigneur entre dans les ordres.

Le pape et les cardinaux sont au-dessus des deux clergés.

Clergé séculier (qui vit « dans le siècle ») est très organisé et hiérarchise

archevêques (archiepiscopus : chef)

évêques (episcopus: surveillant)

curés (cura animarum : charge d’âme),

diacres (διάκονος : serviteur).=> Celui-ci est un laïc ordonné au 1er degré du sacrement de l’ordination après 10 ans de mariage

Clergé régulier (Ex : abbaye de Fontenay) = anachorète (ἀναχωρει : se retirer) : ermite, reclus et cénobites (κοινός βίος : vie en commun).

abbé (père) ou abbesse,

moines ou moniales, frères convers / soeurs

Les bénédictins

547, Benoît de Nursie : règle monastique (naissance des bénédictins)

821, Benoît d’Aniane permet le développement de l’ordre des bénédictins => dont l’ordre de Cluny fondé en 910 par le duc d’Aquitaine : attire dons et richesses. Au début du XIIème siècle on compte plus de 1 400 monastères bénédictins

Actuellement, la confédération bénédictine est composée de 22 congrégations masculines12 comptant un total de 8694 moines en 1995 et de 61 congrégations et fédérations de moniales et sœurs (au nombre de 16 000) O.S.B., réparties dans 840 abbayes et autres monastères féminins.

Les cisterciens

1153, Bernard de Clairvaux : réforme cistercienne => un des ordres les plus présents en occident à partir de la fin du XIIème siècle après les bénédictins

L’ordre cistercien est en fait constitué aujourd’hui de deux Ordres et plusieurs congrégations. L’ordre de la « Commune Observance » comptait en 1988 plus de 1 300 moines et de 1 500 moniales, répartis respectivement dans 62 et 64 monastères. L’ordre cistercien de la stricte observance (aussi appelé o.c.s.o.) comprend actuellement près de 3 000 moines et 1 875 moniales – communément appelés trappistes et trappistines, car ils sont issus de la réforme de l’abbaye de la Trappe – répartis dans 102 monastères masculins (abbayes et prieurés) et 72 monastères féminins (appelés aussi abbayes ou prieurés), dans le monde entier3. Mais si les deux ordres cisterciens sont actuellement séparés, des liens étroits d’amitié et de collaboration existent entre eux, notamment dans les domaines de la formation et de la réflexion sur leur charisme commun. Leur habit est donc le même : tunique blanche et scapulaire noir retenu par une ceinture de cuir portée par-dessus ; l’habit de chœur est la traditionnelle coule monastique, de couleur blanche, d’où l’appellation de « moines blancs ».

Les ordres mendiants

Les ordres monastiques ont en commun le travail et la prière mais deux ordres se distinguent car ordre mendiants, ils n’ont ni biens ni richesses et vivent dans les villes:

1210 – Ordre des frères mineurs par François d’Assise

1215 – Ordre des frères pêcheurs par Dominique de Guzman

Un ordre mendiant est un ordre religieux qui dépend de la charité pour vivre. En principe, il ne possède ni individuellement ni collectivement de propriété : les religieux appelés frères ont fait vœu de pauvreté pour consacrer tout leur temps et leur énergie à leur vocation religieuse. Apparu avec la bourgeoisie urbaine médiévale, cet ordre vit dans des couvents dans les villes et se différencie des ordres monastiques, seigneuries vivant derrière une clôture et percevant des droits féodaux.

Aujourd’hui, on compte près de 18,000 Franciscains dans le monde répartis sur les cinq continents e environ 6000 dominicains.

Les clergés régulier et séculier encadrent les laïcs, particulièrement après la réforme grégorienne – voir B°) – :

Le clergé peut exclure à travers l’excommunication : elle rejette le pêcheur hors de la société en lui interdisant l’accès aux sacrements c’est-à-dire les moyens d’obtenir le Salut (mort spirituelle).

Le contrôle des âmes par la confession : A partir de 1215, l’Eglise rend obligatoire la communion annuelle à Pâques ⇒ devoir de se confesser. L’essor de la confession permet de s’immiscer jusqu’au plus secret des consciences individuelles et de peser sur les comportements sociaux.

Le monopole en matière d’enseignement et de transmission du savoir, dans les écoles cathédrales ou monastiques, puis dans les Universités à partir du XIIe siècle.

L’encadrement des malades (hôpitaux, léproseries)…..

B) La réforme grégorienne et la puissance de l’Église

Au début de la période, le pouvoir du Pape est assez faible et les seigneurs laïcs au contraire sont puissants au point de faire pression sur l’Église.

Toutefois, à partir du XIème siècle, l’autorité de l’Eglise va être réaffirmé par la conjonction de deux phénomènes :

D’une part l’Eglise accumule des terres et des biens. Dans la plupart des régions d’Europe, l’Église concentre entre le quart et le tiers des terres cultivées. => Les autorités épiscopales (séculier) ou monastiques (régulier) sont de puissants seigneurs féodaux. D’autant plus, qu’elles collectent la dîme.

= pouvoir spirituel de médiation entre les hommes et Dieu qu’on lui attribue.

D’autre part le Pape, évêque de Rome et successeur de Pierre, va réaffirmer l’autorité de l’Église.

A partir de la 2nde moitié du XIe siècle la réforme grégorienne initiée par la Papauté (Grégoire VII) réaffirme la puissance de l’Église en séparant + nettement clerc et laïcs ⇒

Elle interdit aux Princes de nommer les évêques (querelle des investitures) → Paix de Dieu

Elle cherche à améliorer le niveau spirituel et moral des clercs (condamnation de la simonie  : vente des charges spirituelles et du nicolaïsme  : concubinage des prêtres)

Elle renforce le caractère sacré des clercs (réaffirmation du célibat, monopole de la dispense des sacrements, notamment la communion ….).

Grâce à ce processus, le Pape renforce ses pouvoirs (au sein de l’Église et en dehors de celle-ci), intervient dans des domaines de + en + nombreux qui s’étendent à l’ensemble de la Chrétienté comme l’illustre l’appel d’Urbain II à la croisade en 1095.

II – Le Ciel et la Terre, l’Église organise la société du Moyen-Âge

A) Organiser l’espace

Entre 900 et 1100, se forme en Europe un réseau dense de villages.

L’église et le cimetière forment le pôle autour duquel se concentrent les villageois Ils sont le plus souvent le centre de la Cité ou du quartier, souvent aussi en position élevée

Parallèlement se généralise le réseau des paroisses (2000 en Angleterre fin XIe, 10000 fin XIIIe). Les communautés rurales se regroupent autour d’un prêtre et de son église.

Ces paroisses sont ensuite réunies en diocèse sous l’autorité d’un évêque.

Les églises sont le lieu de rassemblement des chrétiens.

Du Xe au XIIe, fleurissent les édifices romans puis à partir du XIIe siècle, apparaissent les premiers édifices gothiques. Les variables spatiales et temporelles sont cependant nombreuses.

Les édifices sont souvent orientés vers l’est (non pas tant vers Jérusalem, mais vers le soleil levant, symbole de résurrection), ont souvent un plan en forme de croix latine (symbole de la crucifixion de Jésus  mais ce n’est pas une règle absolue).

Franchir le seuil d’une Eglise, c’est passer d’un monde dans un autre.

L’église est un lieu « habité » (demeure de Dieu et ses Saints, présence des reliques) donc protégé (il soustrait ceux qui s’y réfugient au pouvoir de l’arbitraire et de la force)

L’église est pensée comme interface des hommes et de Dieu d’où une symbolique double :

De la terre vers le ciel : la nef horizontale accueille les fidèles « en marche vers l’orient » alors que prières, offrandes, encens montent vers Dieu,….

Du ciel au monde d’ici-bas : verticalité des tours trace la voie vers le ciel, la Lumière descend éclairer les fidèles,…

L’organisation des espaces intérieurs (cf. TD) est tout aussi symbolique :

Nef = lieu des foules

Transept = limite entre foules et espace sacré du chœur dont l’accès est réservé aux seuls clercs.

Chœur = partie la + sacrée, on commence toujours la construction par lui. On y trouve l’Autel = lieu élevé par lequel on accède par des gradins

L’église est un lieu de diffusion du message divin : parole, lecture, images peintes ou sculptées. Ces dernières ont des fonctions multiples (esthétiques, éducatives, symboliques, « religieuses » : exprimer la dévotion personnelle, susciter la médiation des clercs, …). voir TD .

Ce discours façonne l’univers mental du monde médiéval (Salut, façon de penser le spirituel et le charnel, le sacré et le profane, le temps et l’espace,….) voir TD

B) Organiser le temps

Le christianisme est une religion monothéiste (un seul Dieu composé de trois entités distinctes et égales : Trinité) fondée sur un ensemble de dogmes.

La recherche du Salut est la valeur suprême qui anime la Chrétienté, elle permet la vie éternelle après la mort et le Jugement dernier : le monde des vivants est donc inconcevable sans l’au-delà. Celui-ci s’organise en 2 espaces : Paradis et enfer.

Deuxième cercle

Incontinents

Luxurieux Emportés sans cesse par une tempête de la même manière que pendant leur vie, ils l’ont été par la passion Minos, Paolo et Francesca, Gianciotto Malatesta, Sémiramis, Ninus, Didon, Sychée, Cléopâtre, Hélène, Achille, Pâris, Tristan, Lancelot, Galehaut , Ravenne V
Troisième cercle

Incontinents

Gourmands Étendus à terre, immergés dans la boue sous des précipitations continues (grêle, pluie battante, neige) et malodorantes, fréquemment lacérés par Cerbère Cerbère, Ciacco, Farinata degli Uberti, Tegghiaio Aldobrandi, Iacopo Rusticucci, Arrigo, Mosca dei Lamberti Florence VI

Cela dit, au XIIe siècle, l’Eglise invente le Purgatoire, espace intermédiaire dans lequel les âmes ni bonnes, ni mauvaises se purifient renforce la quête du Salut.

Dés lors, repousser la perspective de l’enfer devient une préoccupation quotidienne qui s’exprime à travers des pratiques et des gestes : signe de croix, récitations de prières, recherche d’intercesseurs (Vierge, Saints….), pèlerinages …

L’Eglise maîtrise les rythmes de vie :

Rythme de la journée, scandé par les cloches de l’Eglise, signal sonore de la présence de Dieu.

Rythme de la semaine : le dimanche est consacré à Dieu, à la messe, il est interdit de travailler. Documents e, f : Documents iconographiques messe et prière 6,7 pages 44-45, « L’histoire » 305).

Rythme de l’année, scandé par le calendrier liturgique : grandes fêtes religieuses (Noel, Pâques), fêtes des Saints, de la Vierge,…. (Document g : un calendrier liturgique).

Rythme de la vie, scandée par les sacrements (actes qui relient les hommes à Dieu) de l’Eglise : baptême, mariage, mort,…

III – La Foi et l’Hérétique, l’Eglise exclut et punit

A) Les résistances à la domination

Le pouvoir de l’Église ne s’exerce pas sans limites. Le clergé doit lutter pour contrôler la réalité sociale.

Elle est en conflit ouvert avec l‘aristocratie sur les pratiques matrimoniales (répudiation des épouses, remariage, alliances entre cousins proches) sur la violence nobiliaire (canaliser l’activité guerrière) et l’éthique chevaleresque (exaltation de la force, éthique courtoise). (voir paix de Dieu I)

Elle cherche à encadre l’activité des marchands, banquiers et artisans des villes et dénonce le prêt à intérêt usure.

Elle doit lutter contre des pratiques et des croyances assez répandues, qualifiées de « superstitions » : culte des esprits, des astres, de la fertilité, de la forêt, des animaux (loup-garou)…. où se mêlent à la fois pratiques païennes et éléments chrétiens.

B) La répression des hérésies

Les critiques contre l’Eglise existent en son propre sein mais lorsqu’elles débordent un certain seuil, elles deviennent inassimilables et sont rejetées dans l’hérésie.

Donc, l’hérésie n’existe pas en soi : elle n’est que ce que l’Église définit comme tel.

Hérésie : opinion ou doctrine considérée comme sortant du cadre de ce qui est généralement admis dans le domaine de la pensée catholique et condamnée par l’Eglise.

Les dissidences hérétiques prennent de l’ampleur surtout dans les années 1120-1140. Les foyers se multiplient.

Le danger cathare est cependant celui qui suscite les réactions les + fortes :

Il est localisé dans le Languedoc, l’Italie du Nord et la Rhénanie

On sait peu de choses sur l’organisation et les conceptions des cathares (car, sauf exception, les documents conservés ne livrent que le point de vue des clercs).

Les Cathares cherchent sans doute à revenir à une Église pauvre et pure (rejet de la médiation des clercs et de leur monopole en matière de sacrements, refus du mariage et de la reproduction sexuelle, négation de l’Incarnation et de la résurrection des corps).

Ces hérésies menacent l’autorité de l’Église dans la mesure où elles remettent en cause l’ordre social voulu par elle.

Peu à peu l’attitude de l’Eglise se fait davantage excluante et répressive.

Face aux cathares, la riposte de l’Eglise est progressive :

Défense oratoire de la foi dans des controverses publiques

Mise au point d’un arsenal juridique contre l’hérésie avec la création vers 1231-1233 du tribunal de l’Inquisition chargé de convertir les hérétiques.

Offensive militaire, qui se conclut par l’écrasement des cathares du Languedoc (1229)

Les « superstitions » sont peu à peu assimilées à de la sorcellerie contre laquelle on engage une lutte meurtrière.

Les juifs jusqu’alors assez bien intégrés sont aussi progressivement mis à l’écart et parfois victimes de violences.

Au XIIIe siècle, en France, les juifs sont obligés de porter des vêtements différents de ceux des chrétiens et un signe distinctif (la rouelle).

Ils sont forcés de vivre en ville et certains métiers leur sont interdits, ils sont expulsés des royaumes (plusieurs fois en France entre 1182 et 1306).

Ce combat suppose une collaboration entre le pouvoir spirituel, chargé de les débusquer, et le pouvoir politique, chargé de les punir.

En même temps, les contestations, et les désordres liés à celle-ci permettent à l’Eglise à travers les luttes menés contre elles de renforcer sa puissance et son autorité morale.